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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

vendredi 29 novembre 2013

YOUNG PEREZ CHAMPION : UN ENTRETIEN AVEC ANDRÉ NAHUM




    LA SEMAINE DERNIÈRE J'AI RENDU COMPTE DU LIVRE D'ANDRÉ NAHUM, YOUNG PEREZ CHAMPION. Il vient de sortir, ce 25 novembre, et, bien que débordé de coups de téléphone,  son auteur a bien voulu répondre à mes questions pour GRATITUDE. Vous verrez, chers lecteurs et lectrices passionnés, que ce n'est pas juste de ce boxeur qu'il est question dans ce livre, mais d'une belle promenade dans un univers culturel et moral que tous et toutes apprécieront. 
  
  - Cher Monsieur, c’est un plaisir pour moi que vous ayez accepté de répondre à mes questions pour GRATITUDE. Comme vous le savez, j'ai beaucoup apprécié votre livre, et j'ai maintenant envie de vous demander, en sachant que vous êtes vous-même originaire de Tunisie - de quand date cet intérêt passionné pour Young Perez ? Parce que, quand j'ai regardé Wikipédia moi-même pour découvrir Young Perez, j’ai constaté que la plupart des informations qui s’y trouvent proviennent de vos recherches. C’est impressionnant ! Alors, quand les avez-vous commencées ?

ANDRÉ NAHUM : Oui, sur wikipedia il y a 96 références sur 106 qui proviennent de mes recherches! Alors, voilà : J’avais dix ans et j’habitais Tunis, et un soir j’entends un très grand chahut dans la rue, quelque chose comme s’il y avait une manif dans la rue, tout le monde sort, on s’interroge, on demande et on nous dit : vous ne savez pas ? C’est le champion du monde Young Perez qui vient d’arriver, il est là, il est là,  et c’était le champion du monde de boxe qui était là, avec un cabriolet Peugeot qu’on lui avait offert – et cette image m’a marqué, et je dois dire que depuis ce temps-là Young Perez est devenu, pour tous les gens de notre pays, une idole, pour tous les Juifs de Tunisie. Ce garçon nous avait rendu notre dignité. Young Peres, c’est pas un match de boxe, c’est un boxeur, un homme, dans ses origines,  dans son pays, un homme qui découvre la France, qui découvre les Juifs ashkénazes, dont il n’avait pas la moindre idée ! Un jour il va manger casher dans un restaurant ashkénase, et qu’est-ce qu’il y trouve ? Du borscht ! Alors il n’y comprend rien ! Et cela reprend ma propre histoire. Un jour, j’étais en PCB à Paris, et j’ignorais tout d’eux – j’avais près de moi une jeune fille au nom très bizarre, comme Katzenblum… et quand j'ai appris qu'elle était juive, je me suis dit, elle est juive, c’est pas possible ! Cela me rappelle une autre histoire : quand des Juifs allemands sont venus se réfugier à Tunis, ils étaient arrivés sans un rond, et ma grand-mère qui ne parlait pas un mot de français, croyait avoir du diabète. Alors mon père, pour faire gagner 20 francs à l’un de ces médecins lui a dit, Venez faire une visite à ma mère. Le médecin, un grand professeur, vient chez nous, il s’enferme avec ma grand-mère, et quand il est parti, ma grand-mère a mis les mains sur les hanches et a dit « Mais vous vous moquez de moi ? C’est un Juif ce monsieur là ? Il comprend pas un mot d’arabe ! »

    -   Oui, alors, cette histoire a fait écho à la vôtre, en quelque sorte ?

-                 ANDRÉ NAHUM :   Je voulais dire ça : à cette époque on adorait la France, mais on ignorait tout des Français de France. On adorait la France, quand on entendait la Marseillaise on frissonnait ! Mais comme nous, Young, il ne connaissait pas la France, il la connaissait à travers ce que lui raconte un personnage inventé dans mon histoire, Monsieur Léon, qui représente un Juif français qui avait fait la guerre - il n’y en avait pas beaucoup en Tunisie à cette époque. Cette France, Young Perez la découvre, et c’est ça que j’ai voulu montrer. Le Paris des années 30, la beauté, l'ambiance… Quand Young Perez y va, il découvre la France, les music-halls, les musiciens noirs… On ne connaissait pas les Noirs à Tunis – et c’étaient des Américains qui ne pouvaient pas jouer chez eux, ni jouer dans des films… La seule fois où on a fait jouer un Noir dans un film, c’était un Blanc déguisé (Al Johnson) – alors même si la France était quand même assez raciste, il y avait cela… et ils avaient tellement de talent que les gens adoraient le jazz… Ils ont amené Josephine Baker avec eux. 

    -  Je voudrais revenir à l’histoire de ce livre, qui est, je crois, une réédition d’un premier ouvrage sur le même sujet – votre premier éditeur a, je crois, mis la clef sous la porte. Est-ce que cela a été difficile pour vous de le faire rééditer ?

   ANDRÉ NAHUM : Ce livre a une histoire. Ce livre a été conçu il y a plus de vingt ans. J’ai mis des années à trouver un éditeur. J’ai mis des années à recueillir les renseignements, j’ai mis des années à trouver un éditeur, personne n’en voulait. Il a fallu qu’un jour mon ami Joseph Joffo le fasse connaître à Daniel Radford, qui avait racheté Bibliophane, et il a fait le livre. Mais c’est ma fille Maya qui a trouvé les Éditions Télémaque. Ce sont de jeunes éditeurs audacieux, qui ont aussi publié Sophie Chauveau, avec beaucoup de succès. Ils ont pris le livre, et ont foncé. Le livre est sorti en quatre mois !  Je ne vous cache pas que ma fille Maya m’a beaucoup aidé, et elle a une plume "diabolique", comme vous avez pu le lire dans son article !

     - À ce propos, je ne l’ai pas vu, mais je me demandais, à quoi est due la sortie quasi concomitante de votre livre et du film sur le même champion ? Du pur hasard ?
  
  ANDRÉ NAHUM : Non, pas vraiment….C’est la volonté de l’éditeur… C’était de bonne guerre !

              Ah, très bien, dites-en deux mots, alors !

-           ANDRÉ NAHUM : Ceux qui ont réalisé ce film ont tout fait pour ne pas me racheter mes droits. Moi, je connais Young Perez, dont personne n’a parlé avant que je m’en occupe. Un jour, il y a des années j’ai reçu en consultation à Sarcelles une petite bonne femme, qui s’est avérée être la sœur de Young Perez. Elle n’était pas malade, mais elle savait que j’avais déjà écrit sur lui et elle m’a demandé d’écrire la vie de son frère, et même d’en faire un film ! C’était presque une commande ! Mais pour moi, ce n’est pas une question d’argent, c’est un devoir moral, parce que je me dois …  Je ne veux pas qu’on le trahisse.  

     - Venons-en, si vous le voulez,  aux questions clefs que pose ce livre : Vous décrivez très bien dans toute la première partie la vie quotidienne des familles juives, mais vous ne parlez pas d’amitiés entre enfants juifs et musulmans, était-ce de l’ordre de l’impossible ?

-      ANDRÉ NAHUM : Je sais qu’il y avait des relations professionnelles très cordiales, mais on ne se recevait pas. La ségrégation était moins marquée qu’en Algérie, mais il y avait une ségrégation quand même.

-            -  Donc, il n’était pas question pour les enfants de jouer ensemble dans la rue, par exemple ?

-          ANDRÉ NAHUM : C'était assez rare. La règle en Tunisie, c’était chacun dans sa communauté. Les Français avec les Français, les Siciliens avec les Siciliens, les Maltais avec les Maltais… À la maison, moi je n’ai jamais reçu un copain arabe, ni français, pour un anniversaire par exemple... Pas dans mon enfance en tous cas, parce qu’après il y a eu des petits changements… Les commerçants, les avocats, les médecins se fréquentaient professionnellement, mais les pauvres, dans le ghetto, ne fréquentaient que les gosses du ghetto. C’est comme ça… Je parle de mon temps, bien sûr.  

-              - Je comprends. Alors, nous allons revenir au moment où Young Perez part pour la France, dans les conditions les plus rudimentaires possibles, et en cachette de sa famille – est-ce que c’était aussi pour échapper au poids des traditions et des contraintes culturelles, pour ne pas dire religieuses ?

-              ANDRÉ NAHUM : Non, non, non ! C'est parce que sa mère ne l’aurait jamais laissé partir ! Ah, vous savez les mères juives, ça garde ses poussins ! C’était une très bonne mère de famille – il fait un pet, elle s’imagine qu’il va crever ! Alors l’envoyer en France !!! Je vais vous dire, dans mon jeune temps – et ça, ça m’est arrivé à moi -, venir en France, c’est comme si aujourd’hui on allait en Australie. Quand je suis arrivé à Paris, à 17 ans, pour faire le PCB, il y avait quoi comme Juifs tunisiens ? Une dizaine, une quinzaine…  une trentaine, une centaine ? Pas plus. Peu de Marocains, peu d’Algériens…  La France, c’était loin, il fallait deux jours pour y arriver – il n’y avait qu’un restaurant qui faisait le couscous, et c’est tout. C’était une aventure extraordinaire, une terre inconnue.
           
-                    Une fois Young Perez à Paris, avec tous les alea de sa carrière passée, que vous racontez si bien, la question que chacun se pose, encore maintenant, c’est : Pourquoi n’a-t-il pas écouté les signes avant-coureurs de la catastrophe, surtout en étant allé à Berlin au lendemain de Kristallnacht ? Est-ce parce que ce héros et champion se pensait  invincible, à tous points de vue ? Victime d’une forme de mégalomanie ?  
     Quel est votre sentiment à ce sujet ?

-                   ANDRÉ NAHUM :  Moi je ne connaissais pas grand-chose de son séjour à Berlin, et il y a beaucoup de fiction dans cette partie – mais il a subi un problème très grave. Il faut pas oublier que Young Perez, après son ascension fulgurante, en cinq minutes il est passé de l’anonymat à la gloire, de la quasi-misère à la fortune, mais il est retombé assez vite. Il a perdu son titre. Après, il a essayé de le rattraper dans une autre catégorie, avec un personnage exceptionnel, Al Brown, qui fut, dit-on, très lié à Jean Cocteau… Mais il a dégringolé. Il ne voulait pas rentrer à Tunis après y être retourné une première fois en héros. Lorsque ce jour-là, il est descendu du bateau, il y avait la police qui empêchait les gens d’approcher. Une dame française qui attendait son mari, et cette histoire est vraie, qui dit « Mais enfin c’est scandaleux ! Pour ce petit Juif, on fait toute cette histoire, mais c’est insupportable ! » Il était arrivé en héros, il ne voulait pas revenir en perdant, en loser… Donc après son ascension fulgurante, il est retombé très vite. Plus de fric… 
  Pendant l’occupation, j’imagine qu’il a fait de petits combats pour survivre. Imaginez comment un boxeur juif déchu peut vivre sous l’Occupation.

-       - Oui, on comprend. Mais il y a autre chose qui m’a interpellée : Dans sa relation avec les femmes, et avec Mireille Balin en particulier, il est vraiment « primaire », non ? On a envie de le secouer, de lui dire de se reprendre ! Est-ce que sa famille et son éducation comptaient si peu pour lui ? Parce que, on a vraiment l’impression que, s’il a fait ce qu’il fallait pour les aider matériellement, il s’en est éloigné spirituellement. Qu’en pensez-vous ?

-  ANDRÉ NAHUM : Non, non, pas du tout ! Pas spirituellement, c’était un Juif tunisien. Vous savez, il y a une chose qu’il faut comprendre : Les filles n’ont pas de sexualité jusqu’au mariage, et la sexualité d’un monsieur, juif ou arabe d’ailleurs, à Tunis… pour eux il y a le bordel. Il y a la rue Abdellah Guéche, pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent ça coûte 7 francs la passe, et il y a les bordels chics à 20 francs la passe. Donc sa sexualité à Tunis... il n’avait pas le choix, il faisait comme tout le monde ! Il faut montrer cette société, ses odeurs, ses saveurs…

-           - Ce que vous faites très bien, justement dans votre livre…

-                ANDRÉ NAHUM : Oui, ce n’est pas juste un match de boxe ! c’est ça l’histoire ! Alors, donc, faire l’amour avec une autre femme qu’une putain, c’est impossible. Les filles on ne les approche pas. On ne touchait pas aux filles hors mariage, et surtout on ne touchait pas aux filles de la communauté. Elles étaient sacrées. Il y a même des hommes qui sont devenus impuissants, parce qu’ils ne couchaient qu’avec des putes et quand ils se sont mariés, ils osaient pas, parce qu’on n’osait pas…

-         Alors, dans cette relation avec Mireille Balin, ce que vous voulez dire c’est qu’il a été envoûté par elle ?

-             ANDRÉ NAHUM : Mais attendez Cathie, c’est pas envoûté ! Mais c’est le rêve de tout le monde ! Une maîtresse française, mais c’est le rêve de tout le monde ! En arrivant à Paris à la gare de Lyon, en 1938, un ami à moi a crié « Où sont les femmes, où sont les femmes ? » Je veux faire passer ce message – c’était le rêve inaccessible de tout jeune garçon, qu’il soit juif ou musulman, ou italien ou autre… alors il devient fou, il l’adore, ça c’est vrai. C’était aussi le nôtre. Mireille Balin, une vraie Française, la peau blanche … C’est son rêve impossible.

-    Encore une question, est-ce que la boxe était un sport rassembleur, en Tunisie, au-delà des communautés ?

-                  ANDRÉ NAHUM :  Oui, absolument. Comme le football ici aujourd’hui. Je suis formel. 


-       - Pour finir, et vous libérer, une question encore plus personnelle : Que diriez-vous à un jeune sportif – quel que soit le sport qu’il pratique, pour qu’il ne se perde pas ainsi ? À mon sens il s’est perdu, en dégringolant.

-              ANDRÉ NAHUM :  Il n’y a pas de secret. Ce qui est arrivé à Young Perez est arrivé à un Américain qui s’appelle Max Baerc’était un Juif qui avait gagné le championnat du monde. Il voit s’ouvrir à lui une nouvelle société, la fortune, la fréquentation de gens importants… alors il perd la tête, il se laisse aller. Ça veut dire quoi ? Pour Young Perez, il prend du poids, c’est catastrophique. Deuxièmement, il s’entraîne moins bien, c’est catastrophique. Il croit que c’est arrivé. Or c’est pas arrivé. C’est jamais arrivé. Vous savez, la vie des champions, c’est comme la vie d’un couple. L’amour, ça se gagne tous les jours. Le championnat, ça se gagne tous les jours. Et ça malheureusement il ne le savait pas. C’est comme, Max Baer, comme l’idole de Young Perez, le Noir sénégalais qui s’appelle Battling Siki, dont vous verrez l’histoire extraordinaire et qui a servi d’exemple à Young Perez… Ils se laissent aller. Pourquoi j’ai fait publier ce livre,  c’est parce que je suis très vieux vous savez, je ne suis pas un gosse...

-                          -   Je ne l’entends pas :-)

-     ANDRÉ NAHUM : Je voudrais que les jeunes comprennent que rien n’est jamais acquis. Qu’en lisant ce livre ils comprennent que ce n’est pas en déconnant qu’on se fait une vie. Mon message, c’est ne vous laissez pas aller, serrez les dents, choisissez une discipline et foncez ! Young Perez est un exemple typique...

-                     Ou plutôt un contre-exemple !

-                  ANDRÉ NAHUM  Oui, mais je répète, c’est comme un amour : pour le conserver on se bat tous les jours. Ce personnage illustre la vie, avec ses découvertes, ses enthousiasmes, ses succès et ses déceptions…

-          Oui, c’est bien ce que l’on ressent et découvre dans votre livre. En tous cas je vous remercie beaucoup d’avoir répondu à mes questions pour donner aux lecteurs de Gratitude l’envie d’en savoir plus et de découvrir à leur tour celle belle leçon de sport, et de vie. Je souhaite à votre livre tout le succès qu’il mérite ! 




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