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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

vendredi 5 janvier 2018

LA PASSEUSE, de Michaël Prazan



"Si vous avez lu un précédent billet concernant le documentaire réalisé par le même auteur (La passeuse des Aubrais, ICI), vous reconnaîtrez le titre, l’auteur, et le contexte. 



Mais, dans tous les cas, précipitez-vous sur ce magnifique travail d’historien et d’écrivain..."


Un peu bref, pour une chronique, non ? Ce livre étant mon coup de cœur de la fin 2017, il faut vraiment que je développe mon propos – sur un fond de blog tout neuf ! – pour vous convaincre de le lire à votre tour, et d'ainsi bien commencer 2018. 

Il est fréquent de voir un film adapté d’un livre que l’on a lu. Le résultat n’est pas souvent satisfaisant. Certes, il y a des exceptions. Autant en emporte le vent, par exemple, que j’ai dévoré à l’âge de quatorze ans, et regardé avec autant de passion deux ans plus tard. Idem pour le plus récent Au-revoir là-haut. Vous trouverez certainement d’autres exemples à citer...
Il y a aussi ces livres que nous avons aimés au point de ne pas souhaiter que nos images mentales soient modifiées par le regard d’un tiers. Je pense à La Promesse de l’Aube, que j'hésite à aller voir.   

Et puis, il y a l’inverse, moins fréquent, plus audacieux. La rédaction, sous forme de récit, de ce qui a fait l’objet d’un film ou d’un documentaire. Celle-ci demande d’autres talents, et en particulier celui de l’écriture.

Au-delà de ce qui a déjà été publié ici et là sur ce livre, sur la trajectoire des personnages mis en scène – la famille de l’auteur, le contexte de l'époque, le dessous de ses recherches personnelles –, il me paraît essentiel de souligner le talent d’écrivain de Michaël Prazan. Avec cette Passeuse, à la construction aussi soignée que celle de son documentaire, Michaël Prazan parvient à concilier le récit factuel et l’exploration de l’intime. 

L’arrière-plan historique, tel qu’il nous le décrit, est fascinant. À la fois général et personnel, il nous parle. Défilent devant nos yeux (in our mind’s eye, comme l’anglais le dit si bien !) le décor parisien des quartiers juifs de l'avant-guerre, celui de la vie rurale de son père – enfant caché –, des camps infâmes, puis du monde reconstruit – à tous les sens du terme – de l’après-guerre. Dans le même temps, comme dans le documentaire, les zones floues le demeurent, les vrais salauds, même s'ils "ne courent pas les rues" vous donnent froid dans le dos, et les héroïnes de la Résistance ne sont pas forcément toutes sympathiques... 

Les passages consacrés à la relation de l’auteur à son père sont, quant à eux, poignants. Le fils y explore avec force et délicatesse les raisons du silence, des non-dits du père, et leurs répercussions sur l’adolescent qu’il fut. Ainsi que l’annonce l’éditeur,  "toutes les familles ont leur secret", et l’art de Michaël Prazan est ici de savoir toucher à l’universel. 

Ce qui importe, cependant, ce n’est pas tant ce qui s’est vraiment produit, mais la manière dont chacun et chacune l’a perçu. La passeuse – un personnage au demeurant fascinant – n’est que le pivot déclencheur cette exploration fouillée. Le regard subjectif de l’auteur est aiguisé ; sa plume, sensible. 

Mis en mots, son récit détaillé nous touche encore davantage que ne le firent les images. Et si le dernier chapitre est intitulé "Kaddish" – cette prière que les Juifs récitent lors de la mort d’un parent – c’est à juste titre. Ce livre est l’expression d’une réconciliation. Ne serait-ce qu’à cet égard, il faut le lire.
Gratitude, Monsieur Prazan.


La passeuse
Michaël Prazan
Éditions Grasset, octobre 2017
ISBN 978 2 246 85579 8
20 €

Pour les plus curieux, j'ajoute la 4ème de couverture, qui dit ceci :


1942, quai de la gare des Aubrais : Bernard Prazan, 7 ans, serre fort la main de Thérèse Léopold, qu'il doit appeler Tata mais qu'il connaît à peine. Quelques heures plus tôt, sa véritable tante les as confiés, lui et sa sœur, à cette inconnue pour qu'elle les fasse passer en zone libre. Mais au moment de quitter la gare, l'enfant comprend au regard de la passeuse qu'elle va les livrer aux Allemands. Pourtant elle se ravise et les sauve. Dénoncée à son tour pour ce geste héroïque, elle sera déportée à Auschwitz-Birkenau, Mauthausen puis Ravensbrück. Elle en reviendra. De son vivant, Bernard a toujours affirmé à ses enfants qu'elle travaillait pour la Gestapo. Qui était-elle vraiment ? Une collabo repentie ou une Juste ignorée ? 
Pour connaître la vérité, Michaël Prazan s'est lancé dans la grande enquête de sa vie : celle de ses origines. Mêlant l'histoire de son père, enfant caché et homme taiseux, et celle de la passeuse qu'il a retrouvée et interrogée, il livre le récit bouleversant d'une famille persécutée et d'un sauvetage énigmatique. Car l'Histoire n'est pas peuplée que de héros ou de salauds. On le voudrait parfois. Les choses seraient plus simples. 



2 commentaires:

  1. Beaucoup de ces enfants cachés sortent au grand jour, et avec raison en ces temps de négationnisme et d'antisémitisme échevelé. A croire qu'on - cons, les cons - n'a rien appris de l'Histoire. Il faut raison diffuser, et justice, et vérité.

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  2. Il a fallu beaucoup de temps en effet, au père de Michaël Prazan (décédé depuis plusieurs années) avant d'accepter de témoigner. Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est le regard et le ressenti de la génération suivante, et même de celle qui suit. Ces témoignages suffiront-ils à enrayer la haine ? Je ne sais que répondre. Celui-ci, en tout cas est apaisant.

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